Thierry FOURNEL

Dans le Sud-ouest de l’Ethiopie, le peuple des Ari, constitué d’agriculteurs sédentaires de tradition animiste, exprime une part de son génie culturel à travers d’incroyables polyphonies vocales et instrumentales. Juchés sur les hauts plateaux qui surplombent la vallée de l’Omo, les Ari ont élaboré un ensemble de codes et de signaux qui constituent un véritable langage. Lors des grandes cérémonies qui marquent le calendrier rituel, la musique est omniprésente. À l’image d’une société très organisée et hiérarchisée, chacun joue un rôle précis lors des performances polyphoniques : l’espace sonore est divisé en intervalles, le temps est découpé en motifs rythmiques superposés : c’est la technique du « hoquet ». Aussi bien chantées que jouées sur des flûtes en bambou, ces mélodies lancinantes peuvent se retrouver dans différents contextes.

Après la présentation du contexte culturel et de l’environnement dans lequel s’est inscrite notre étude, nous aborderons les principes fondamentaux qui régissent les performances polyphoniques Ari illustrés par deux exemples significatifs : une polyphonie vocale alla et une polyphonie vocale et instrumentale avec l’orchestre de flûtes ipeyssa.

La place des Ari au cœur de l’Éthiopie méridionale

Les Ari font partie de l’ancienne région administrative du Gamo Gofa appelée aujourd’hui « Southern Nations, Nationalities & Peoples Regional State », et plus précisément dans la « South Omo Zone». Depuis 1 890 et les campagnes d’expansion de l’empereur Ménélik II, les Amharas du nord ont annexé cette région à l’Ethiopie et y exercent leur influence politique, économique et sociale. Ils ont d’ailleurs établi la capitale administrative au sud du pays Ari, à Jinka, dans une vallée difficile d’accès, au carrefour entre les immenses déserts peuplés de pasteurs nomades et les hautes montagnes peuplées de cultivateurs sédentaires. La South Omo Zone ne comprend pas moins de douze groupes ethniques. Les Ari (Gebre Yntisso, 1995), qui sont les plus nombreux, entretiennent aujourd’hui des relations pacifiques avec leurs voisins Hamar, Dime, Basketto, Banna et Maalé, donnant lieu à de nombreux échanges, notamment culturels. Du point de vue linguistique, ils font partie de la famille des langues omotiques. Dans sa classification des langues omotiques, H. Flemming (1976) place Yaraf, la langue des Ari, parmi les langues « Proto-South Omotic », au même titre que celle des Hamar, Banna et Dime. Elle est subdivisée en cinq dialectes.

Le pays Ari comprend neuf sections territoriales dont l’autorité traditionnelle revient à un roi héréditaire, le babi. Sur le territoire de Shengama, où se sont concentrées nos recherches, le jeune roi Petros Lagi perpétue les sacrifices rituels rendus aux divinités protectrices Sabi et Beri, aidé de ses hauts conseillers rituels, les godmis. La société Ari est très hiérarchisée. En savoir +

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